Olfa Lamloum and Mohamed Ben Zina, dir., Jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen. Une enquête sociologique. Tunis: Arabesques / International Alert, 2015.
Jadaliyya (J): Qu’est-ce qui vous a fait éditer ce livre?
Olfa Lamloum (OL) : Le projet de ce livre collectif a été conçu et soutenu dans les différentes phases de sa réalisation par International Alert (IA), une ONG internationale présente dans plus de 25 pays, qui œuvre en faveur de la consolidation de la paix et du soutien aux transitions démocratiques, en produisant des expertises sur les conflits et en appuyant les revendications des sociétés civiles locales. Présente en Tunisie dès 2012 dans les régions de l’intérieur et en particulier dans le gouvernorat de Kasserine—deuxième scène du soulèvement tunisien après Sidi Bouzid—International Alert souhaitait élargir son champ d’action aux questions de vulnérabilité et de marginalisation, à de nouveaux territoires frappés eux aussi par la relégation et la paupérisation.
C’est ainsi que notre choix s’est porté sur les jeunes de deux communes populaires urbaines, Douar Hicher et Ettadhamen, situées à quelques kilomètres de la capitale, qui abritent une population de plus 180.000 habitants et qui ont joué, en janvier 2011, un rôle précurseur dans le soulèvement populaire de la région du Grand-Tunis. L’objectif consistait, quatre ans après la chute de Ben Ali, à cerner, comprendre et restituer les ressorts de la conflictualité sociale et politique qui marque ces deux communes, très souvent réduites par les raccourcis médiatiques à de simples fiefs salafistes djihadistes. Notre recherche visait à conforter une démarche participative et inclusive de la société civile locale, en vue de formuler un plaidoyer à l’intention des autorités locales et nationales, sur les droits sociaux, économiques et politiques des jeunes issus des milieux populaires.
Nous avons commencé par mettre en place une équipe pluridisciplinaire de chercheurs tunisiens (sociologues, démographe, politologue) et entamé les préparatifs pour assurer leur accès au terrain. En effet, malgré la levée des entraves qui ont étouffé, plus de trente ans durant, toute recherche de terrain dans le pays, ce genre d’initiative continue à susciter la suspicion.
J: Quels sujets et enjeux ce livre aborde-t-il, et avec quels travaux entre-t-il en discussion ?
OL: L’ouvrage se propose de décaler notre regard sur l’après-Ben Ali. Son parti pris est d’observer les recompositions sociales et politiques en cours, non pas depuis la scène politique instituée, dominée par la bipolarisation et/ou les arrangements entre le parti islamiste Ennahdha et ses détracteurs dits « sécularistes », mais depuis un groupe social subalterne—les jeunes âgés de 18 à 34 ans issus de quartiers populaires—demeuré exclu de cette scène. Il questionne donc leurs conduites de vie, les formes de leur sociabilité, leurs identités, leurs représentations, leur rapport au politique, à l’Etat et au religieux. Ainsi, l’enjeu premier de l’ouvrage a trait au choix de son objet, au demeurant très peu traité dans la littérature académique sur la Tunisie post-soulèvement, malgré l’inflation des références aux jeunes. Il s’agit de prendre ces jeunes issus des milieux populaires comme une focale pour appréhender les dispositifs de reproduction de l’exclusion urbaine, sociale et politique, et de saisir les formes politiques et infra-politiques de leur contestation et de leur délégitimation.
Le protocole d’enquête est le deuxième enjeu de l’ouvrage. Bourdieu disait que « les lieux dits difficiles sont d’abord difficiles à décrire et à penser ».[1] Pour tenter de parer à cette difficulté, nous avons choisi de combiner deux approches, quantitative et qualitative, qui d’ailleurs sont loin d’être faciles à raccorder. Le corpus ainsi obtenu s’est avéré imposant, si bien que nous n’avons pas réussi à l’exploiter dans sa totalité. Les dizaines d’heures de récits recueillis et les diverses possibilités de croisement offertes par l’adoption de cinq variables de contrôle dans l’enquête quantitative, nous ont permis de rassembler des données inédites. Pour moi, ce corpus restitue toute la violence de la réalité des jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen, il documente un fragment de l’histoire post-soulèvement vue d’en bas et témoigne de la demande de reconnaissance qui émane de ces jeunes.
A vrai dire, notre ouvrage n’entre pas en discussion avec des travaux scientifiques antérieurs consacrés aux jeunes de ces deux quartiers, au demeurant quasi inexistants. Il fait, en revanche, voyager des hypothèses formulées sous d’autres cieux, se rapportant par exemple à la relégation urbaine ou à l’identité de défiance (Wacquant, Kokoreff, Scott…). Il discute également avec des travaux déjà entrepris ailleurs sur les jeunes (Charlot, Merklen…).[2]
J: Comment ce livre se raccorde-t-il, ou au contraire se distingue-t-il de vos recherches antérieures?
OL: Personnellement, avec ce livre, j’ai en quelque sorte renoué, non sans bonheur, avec mon terrain originel. Mes recherches doctorales et post-doctorales ont porté sur deux thèmes: la politique étrangère française et la gestion de la montée de l’islam politique en Algérie et en Tunisie sur la période 1987-1995, et l’ordre autoritaire en Tunisie et son modèle de régulation des conflits. Néanmoins, privée pendant des années de mon passeport tunisien et de mon droit de retour au pays, j’ai fini par renoncer au terrain tunisien (et algérien bien sûr, en raison de la guerre civile). Par la suite, mon affiliation à l’IFPO, à Beyrouth, m’a offert l’occasion de travailler sur le terrain libanais. Je me suis alors penchée sur la sociologie politique du système de communication de Hezbollah, en me focalisant sur l’enchevêtrement des différentes formes de légitimités mobilisées par ce parti ainsi que sur les évolutions et tensions structurant son système de représentation, son répertoire d’action et ses identités plurielles. Travailler aujourd’hui sur les jeunes de deux quartiers populaires en Tunisie constitue certes une rupture avec la banlieue de Sud-Beyrouth et le Hermel.
Néanmoins, ce nouveau terrain tunisien m’a offert l’occasion d’enrichir une réflexion plus large sur les ressorts de l’action collective à référentiel islamiste et son inscription territoriale, et de tirer profit de ma pratique libanaise de « bricolage » de l’accès à un terrain considéré comme « accidenté ».
J: Qui, espérez-vous, lira ce livre, et quel impact espérez-vous qu’il aura?
OL: Ce livre s’adresse d’abord à un lectorat tunisien. Nous espérons qu’il intéressera les chercheurs, les étudiants, les journalistes, les citoyens et les décideurs publics désireux de s’enquérir de la situation des jeunes et des failles de la « transition démocratique » dans le pays. Il s’adresse également aux organisations de la société civile locale et nationale ainsi qu’aux militants de « l’égalité des conditions », comme disait Tocqueville, en espérant qu’il puisse leur apporter une connaissance plus fine de la réalité sociale de l’exclusion et les aider dans leur combat.
Ce travail s’adresse bien entendu également aux chercheurs et étudiants francophones en France et ailleurs, et en particulier à ceux et celles qui travaillent sur notre pays, en espérant qu’il leur sera utile dans leurs recherches.
Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans les récits souvent poignants des jeunes de Douar Hicher et Ettadhamen, nous espérons donc avoir restitué fidèlement leurs paroles, permis à un grand nombre de les entendre et contribué aussi modestement que ce soit à la demande de reconnaissance qu’ils revendiquent.
J: Quels autres projets préparez-vous actuellement ?
OL: Je m’occupe actuellement, au sein d’International Alert, de la publication de deux nouvelles recherches collectives. La première, qui se fonde sur une double enquête qualitative et quantitative, traite de la perception qu’ont les habitants du gouvernorat de Kasserine—situé à la frontière avec l’Algérie et théâtre depuis plus de deux ans d’affrontements entre les forces de l’ordre et les groupes armés djihadistes—de la frontière et de la sécurité. La seconde, ayant également pour terrain Kasserine, est conduite par le politologue Hamza Meddeb, elle porte sur les jeunes et la contrebande dans cette région et tente d’appréhender ce fait social à partir des itinéraires de certains de ses acteurs qui le pratiquent comme un moyen de survie.
A plus long terme, je souhaiterais travailler sur l’histoire sociale et politique récente du parti islamiste Ennahdha, depuis sa « traversée du désert » dans les années 1990, à la suite de son exclusion musclée du champ politique légal, à sa courte expérience au gouvernement au lendemain de sa victoire aux élections de l’Assemblée constituante, en octobre 2011.
J: Quelle est la contribution de ce livre aux études urbaines en général et dans le monde arabe en particulier?
OL: Notre recherche peut revendiquer une certaine filiation avec les recherches de Morched Chabbi, qui a été un des premiers urbanistes et sociologues tunisiens à se pencher, dès les années 1980, sur ces quartiers dits périphériques, en travaillant entre autres sur la Cité Ettadhamen et en analysant l’action publique urbaine qui s’y déployait. Notre livre ne suit donc pas la tendance lourde des recherches urbaines d’avant les soulèvements arabes, tournées davantage vers les grands chantiers des villes vitrines et la réhabilitation des quartiers historiques. Il souhaite, en revanche, contribuer à la consolidation des travaux portant sur l’ordre urbain dans les marges, en regardant du côté « des classes dangereuses » qui y habitent et qu’on continue à considérer au mieux comme un réservoir de voix électorales, au pire comme une menace à contenir.
Nous espérons par ce travail avoir contribué à libérer les études en sciences sociales sur le monde arabe des trois traits distinctifs qui les ont marquées et que l’essor de l’Etat islamique risque de réaffirmer : « la segmentation comme théorie, la tribu comme concept opératoire, les liens primordiaux comme canaux privilégiés des modes d’action collective», pour citer Elizabeth Picard.[3]
NOTES
[1] Pierre Bourdieu, La misère du monde (Paris : Seuil, 1993), p.14.
[2] Loïc Wacquant, Parias urbains, Ghetto, banlieues, Etat (Paris, La Découverte, 2007), Michel Kokoreff, « Pauvres quartiers ! Complexité de l’objet et ambivalence du phénomène », dans Authier, J.Y., Bacqué, M.H., Guérin-Pace F. (dir.) Le quartier: enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales (Paris : La Découverte, 2006) ; James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Paris : Seuil, 2009) ; Bernard Charlot, Le rapport au savoir en milieu populaire, Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue (Paris :, Editions Anthropos, 1999). Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques (Paris : La Dispute, 2009).
[3] Elizabeth Picard, (dir.), La politique dans le monde arabe, (Paris : Armand Colin, 2006) p. 56.
Extraits du Jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen. Une enquête sociologique
La politique à la marge de l’Etat et des institutions (chapitre 5), par Olfa Lamloum
Contrairement à leurs aînés, les jeunes de 18-34 ans de Douar Hicher et Ettadhamen ont grandi et se sont socialisés sous l’ère Ben Ali. Majoritairement vierges de toute expérience politique contestataire, ils ignorent tout des premières mobilisations qui ont secoué leurs quartiers au lendemain de la grève générale de janvier 1978,[1] et ne se réfèrent guère à la révolte du pain de janvier 1984. Celle-ci avait, semble-t-il, permis à leur quartier de bénéficier de quelques projets de réaménagement urbain. Ces jeunes ont rencontré la politique dans un contexte inédit, celui d’une situation révolutionnaire marquée par l’ébranlement de l’ordre autoritaire post-indépendance. A partir du 9 janvier 2011, des centaines d’entre eux entrent en politique par l’émeute. Car ce jour-là, au rond-point situé face au terminus de la ligne 5 du métro, à l’intersection des trois quartiers populaires (Ettadhamen, al-Entilaka et el-Mnihla), les premières manifestations contre Ben Ali gagnent le Grand Tunis. Des jeunes s’y rassemblent. Ils font face aux forces de l’ordre. Leurs motivations sont diverses. Certains, exaspérés par la répression de leurs proches dans leurs villes et villages d’origine (Kasserine, Siliana, Thala…), sont décidés à en découdre avec la police. D’autres suivent le mouvement. Mais tous ou presque partagent un quotidien fait de mépris, de frustration, de privation et de déréliction.
« Je ne comprenais rien en politique, je voulais ni le départ de Ben Ali ni rien, j’ai vu les jeunes de mon quartier sortir dans la rue en scandant ‘Allah akbar’, je suis sorti comme eux !… Je ne fais pas la prière mais le mot `Allah akbar` m’a secoué. Quand j’ai vu les gens jeter des pierres à la police qui tirait sur eux, puis la fumée des bombes, je me suis senti obligé de faire comme eux. » (Ahmed, 23 ans, Douar Hicher, chômeur, plusieurs séjours en prison)
Du 9 au 14 janvier 2011, les mobilisations s’intensifient et s’étendent. La répression qui s’abat sur les deux quartiers radicalise les jeunes. Durant cette semaine mémorable qui ébranle Douar Hicher et Ettadhamen, on dénombre 25 morts et plusieurs dizaines de blessés.[2] Militants de gauche, islamistes, salafis « clochards » et zabratas[3] s’y côtoient, fraternisent, affrontent la police et s’attaquent aux symboles du pouvoir. Ils domptent la peur et prennent conscience de leur force. A Ettadhamen, ils mettent le feu aux quatre centres de la Garde nationale, à la Maison des jeunes, aux sièges de la municipalité, de la délégation, du RCD[4], ainsi qu’à l’antenne de la Banque tunisienne de solidarité (BTS)[5] et à l’unité du ministère des Affaires sociales.
Le 14 janvier 2011, avec la fuite de Ben Ali, le RCD disparaît de Douar Hicher et Ettadhemen, ses comités de quartier se volatilisent, trois postes centraux de la Garde nationale sont réduits en cendres et le quatrième est déserté. Le dispositif de contrôle et de répression qui a quadrillé plus de trois décennies durant les deux quartiers s’effondre. Les jeunes et les moins jeunes mettent alors en place des comités d’auto-défense. Ceux-ci seront pendant plus de cinq mois les seules formes de pouvoir embryonnaire légitime dans les deux quartiers.
Nul hasard si la conséquence la plus visible de cette séquence révolutionnaire sur les jeunes de Douar Hicher et Ettadhamen a été leur politisation. Focus groups et entretiens semi-directifs ou informels montrent leur intérêt pour la chose publique et donnent à voir leur connaissance des enjeux politiques et des débats d’actualité dans le pays. Depuis 2011, nombre d’entre eux se sont investis dans diverses formes de l’action collective. Ils se sont rapprochés de collectifs militants en assistant à des réunions de partis politiques (14,7%), aux meetings électoraux (12%) ou à des tentes de prédication (11%). Certains ont pris part à des activités de protestation en manifestant dans la rue (27,7%), en participant à des sit-in (19,1%) ou en s’engageant dans la grève (11%). D’autres encore ont pris la parole publiquement en s’exprimant sur la Toile (29%).
Cependant, filles et garçons ne s’impliquent pas avec la même intensité dans ces diverses activités. Le gender gap de la politisation qui se dégage des résultats participe de la représentation dominante de la division féminin-privé/masculin-public des espaces de sociabilité. On observe ainsi que les filles s’investissent davantage que les garçons sur la Toile (31,1% contre 27,3%). En revanche, elles sont moins nombreuses à participer aux manifestations (34,1% garçons contre 18,1% de filles) ou aux sit-in (12,8% contre 23,2% pour les garçons). La seule exception à relever concerne la grève, où l’écart entre les deux sexes est faible (10,4% contre 11,4% pour les garçons). Cela pourrait s’expliquer par les luttes sociales menées par les ouvrières des usines de confection régies par la loi de 1972 et implantées dans le quartier de Douar Hicher.
Toujours est-il que, chez les jeunes filles comme chez les garçons, cette politisation se traduit par l’adoption d’une nouvelle attitude à l’égard de l’Etat et de la société : on commence à revendiquer des droits politiques et sociaux. Voici ce que déclare une jeune femme en situation d’entretien :
« Bien que les autres puissent dire qu’avant c’était mieux car ils achetaient les légumes moins cher, je crois qu’avant la révolution seule une catégorie profitait de la situation… Par exemple, sous Ben Ali je ne connaissais aucun ministre, je ne savais pas comment fonctionnait l’Etat, maintenant je m’intéresse à la politique, je regarde les infos, j’ai l’esprit plus ouvert. La chose que j’admire depuis la révolution… aujourd’hui les gens ont un avis, il y a des manifestations, on peut s’exprimer, tout cela est bien… Depuis la révolution ma vision a changé ! J’ignorais que la tyrannie était dure à ce point ! Je croyais que la vie était normale ! J’ignorais l’injustice, la torture, les gens détenus injustement. » (Amal, 23 ans, chômeuse diplômée, Ettadhamen)
De fait, la révolution ranime les espérances des jeunes et nourrit leurs expectatives. Elle leur ouvre un champ inédit de possibles. Les filles comme les garçons déclarent avoir espéré conquérir la liberté d’expression (87,1%), voir leur traitement par la police s’améliorer (83,6%), obtenir un travail (83,4%), un changement dans les conditions de vie de leur famille (82%), ou voir l’ancien régime jugé (75,9%). Ils s’attendaient en outre à une amélioration de l’image de leur quartier (65,1%) et à la promulgation d’une nouvelle constitution (57,4%). A l’évidence, la hiérarchie des attentes, tout comme les forts taux exprimés en faveur des quatre premiers items, sont révélateurs d’un répertoire de revendications commun mêlant demandes d’améliorations sociales (travail, famille), exigences démocratiques et enjeux de reconnaissance symboliques (le quartier). La politisation des jeunes s’organise autour d’un double clivage social et démocratique.
Or, si l’enquête qualitative montre que certains jeunes, surtout parmi les diplômés, apprécient la nouvelle liberté d’expression acquise avec la révolution et s’en servent désormais pour faire valoir leurs droits face aux autorités,[6] l’enquête quantitative révèle que 44% des jeunes pensent que leur quotidien n’a pas changé depuis le 14 janvier 2011. Pis encore, 46% soutiennent que leurs conditions de vie se sont dégradées. Certains des plus défavorisés en viennent même à regretter Ben Ali.
Comme on pouvait s’y attendre, la raison la plus fréquemment avancée est d’ordre économique. Elle tient à la persistance du chômage et à la montée vertigineuse des prix des produits de première nécessité. En situation d’entretien, bon nombre de jeunes filles évoquent également le sentiment d’insécurité qui entrave leur liberté de circulation, poussant certaines à abandonner leur travail, faute de moyens de transport fiables le soir.
La seconde raison a trait au rapport des jeunes au pouvoir, matérialisé aussi bien par les autorités locales (municipalité, délégation, secteur) que par la Garde nationale chargée de la sécurité dans les deux quartiers. Ainsi, lorsque l’on interroge les jeunes sur leur traitement par l’administration locale, plus de 85% n’y voient aucune amélioration depuis la révolution.
Pour s’en expliquer, ils mentionnent, sans hésitation, la persévérance de la corruption dans la pratique des fonctionnaires de l’Etat (95,2%) et font état de l’absentéisme des responsables locaux (94 %). Ils déplorent leur marginalisation dans le processus de prise de décision (92,3%) ainsi que le mépris à leur égard (89,43%).
NOTES
[1] Avant cette date, comme le souligne Morched Chabbi, « les habitants craignaient les réactions de l’Etat, compte tenu de l’insécurité dans laquelle ils vivaient du fait du statut illégal du quartier ». Voir Chabbi, 1987, pp.84-85.
[2] Ce chiffre nous a été communiqué par le Collectif des familles des martyrs et des blessés de la révolution. (Il s’agit ici des martyrs de Douar Hicher et d’Ettadhamen-Mnihla.)
[3] « Clochard » et zabrat sont deux catégories très utilisées dans les deux quartiers. La première désigne le jeune délinquant à problèmes, la deuxième semble découler du mot « apéritif » et fait référence au consommateur d’alcool.
[4] A Ettadhamen, la Fédération du RCD chapeautait 25 cellules. Quant à celle de Douar Hicher, elle en supervisait 22.
[5] Spécialisée dans le crédit accordé aux « pauvres » ne présentant pas des garanties de paiement, la BTS, comme l’analyse Hamza Meddeb, « était un instrument de financement de la micro-informalité (…) et a été une modalité de diffusion du contrôle à travers un accès discrétionnaire au micro-crédit. » Voir Meddeb, 2012, pp.237-238.
[6] « Avant la révolution, quand tu haussais le ton, c’est simple tu n’avais jamais ton papier, on multipliait les obstacles, il fallait les aborder en douceur. Maintenant tu peux tenir bon, négocier, et tu auras ce que tu demandes ! » (Zohra, FG femmes célibataires).
[Extrait de Jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen. Une enquête sociologique par Olfa Lamloum and Mohamed Ben Zina (dir.), avec la permission des auteurs. Copyright 2015 Arabesques / International Alert.]